09/06/2011

Contrefaçons

Philosophie post-moderne : une frisée mâche sa laitue.
On savait déjà que la Chine fabrique pas mal de contrefaçons : produits de luxe, médicaments, DVD… Les industriels cherchent même à nous faire croire que c’est un fléau mondial. Et même qu'hier, c'était la Journée Mondiale de Lutte contre. Voilà maintenant qu’elle – la Chine, donc – se lance dans la contrefaçon d’armements virtuels.

Explication. Il existe aujourd’hui un bon nombre de jeux en réseau. Ces jeux portent des noms exotiques comme Everquest, Final Fantasy ou World of Warcraft. En gros, le principe est toujours le même. Une fois connecté depuis son ordinateur – et à condition de payer 12 euros par mois d’abonnement le joueur peut se prendre pour un guerrier vaguement médiéval dans un univers façon «Seigneur des anneaux», il s’associe avec d’autres joueurs et, de combat en combat, il conquiert des schmilblicks virtuels tels que cape magique, bourse magique, épée magique, parchemin magique et autres casques magiques qui feront de son personnage un personnage plus fort que les autres personnages. Le but, on l’aura compris, est de conquérir un max de ces trucs afin d’éblouir les copains en leur montrant qu’on a la plus grosse. En somme, rien de nouveau sous le soleil. Il paraît que plusieurs millions de personnes à-travers le monde s’adonnent à ce loisir. Bon. Je suppose que ça les console de se faire engueuler par leur prof, leur femme ou leur chef de service et c’est toujours mieux que s’il le faisait en filant des coups de pied au chien ou des torgnoles à leurs mômes.

Là où ça commence à être drôle, c’est que certains joueurs ont tellement envie d’avoir la plus grosse que, plutôt que de la conquérir (ce qui n’est pas toujours à leur portée), ils trouvent plus simple de l’acheter. C’est-à-dire que, parfois, ceux qui ont réussi à gagner des schmilblicks magiques les revendent aux autres. En vrai. Dans le monde réel. Contre des dollars ou des euros. Sur eBay. Il semblerait qu’un grand nombre de joueurs accros aient ainsi dépensé plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros pour équiper leur personnage virtuel du casque ou de l’épée qui vont bien. A l’échelle mondiale, ce marché du schmilblick virtuel frôlerait le milliard d’euros. Déjà, rien que cette info-là suffit à faire faire deux tours de cadran à l’aiguille du conomètre. Mais ce n’est pas fini.

Les Chinois, dont le sens du business n’est plus à démontrer, ont vite compris qu’il y avait là un formidable filon à exploiter. Ils ont donc créé de véritables usines de «fabrication» d’armes virtuelles. Ça s’appelle le «gold farming». C’est assez simple : on va sur un jeu, on repère la façon d'y gagner une épée ou un parchemin magique et on répète la séquence des centaines de fois par jour, sans interruption, pour accumuler un stock virtuel qui sera revendu ensuite. Bien sûr il y a de quoi devenir dingue, mais bon, pas plus qu’en poussant des chariots dans des mines. Et bien sûr, ceux qui font ça ne le font pas pour leur propre compte : ce sont des ados ou de jeunes adultes salariés pour environ 60 euros par mois par des entrepreneurs qui ont eu les moyens d'investir dans les ordinateurs et les connexions Internet nécessaires à la «production» des schmilblicks magiques. La bonne vieille logique capitaliste, quoi. Là non plus, rien de vraiment nouveau.

Donc, une usine chinoise de fourbis virtuels ressemble assez bien à un élevage de poulets en batterie où les cages seraient remplacées par des écrans. Mais il y a mieux. On a appris récemment que, dans les prisons chinoises, certains gardiens obligent les détenus à produire ainsi du magique contrefait. Pendant huit à dix heures. La nuit. Après avoir cassé des cailloux durant la journée, histoire de bien garder la forme. D’après un ancien condamné, ils seraient 300 prisonniers au camp de rééducation de Jixi à fabriquer ainsi casques et épées magiques à la chaîne. Avec des châtiments corporels à la clé si les quotas de schmilblicks ne sont pas atteints. Bref, il semblerait que les travaux forcés chinois se font maintenant sur ordinateur. Ce qui montre bien qu’en Chine, boom économique ou pas, c’est toujours le PC qui dirige, même si ces initiales n’y ont plus tout à fait la même signification.

Sinon, il y a un magazine qui fait dans la pensée profonde et qui s’appelle Philosophie magazine. Ce mois-ci, il consacre sa couverture à l’affirmation : «Je suis ce que je mange». Et pour bien le démontrer, eh bien, la petite demoiselle sur la couverture qui mange de la salade est elle-même roulée dans une feuille de salade géante. Et surtout, fin du fin de l’astuce, elle est toute frisée. Ben oui : frisée, salade... Il fallait y penser. Eux, ils y ont pensé. Ils sont très forts. On ne travaille pas pour rien dans un journal qui s'appelle Philosophie magazine.

Le niveau monte.

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